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en ordre chronologique inverse de publication

Les métiers émiettés

Porte-plume

Porte-plume, en voilà un beau métier ! Un métier léger, ce n’est pas comme porte-plomb. Enfin un métier à tisser des liens, un mêlier de tiens, pas un métier de rien. Un drôle d’oiseau, un oiseau-lire à une seule plume.

Au service de la personne à qui vient l’envie d’écrire et qui, avec délicatesse, le prend entre ses doigts, et quelquefois le presse. Ou cherchant l’inspiration, en suçote délicatement l’extrémité non emplumée. Alors sa plume dépose ses traces sur le papier. De ce canal, coulent l’essence tout droit sortie du cœur de qui le tient. Comme des larmes que le sensible Porte-plume pleure de joie et de peine en écho aux émus ressentis de son maître.

Le Porte-plume fait office d’officier de liaison, de relieur, de reliant. Il allie des inconnus et des connus à l’écrivain. Ces lecteurs liront et reliront les lignes et entre les lignes, tenteront de décrypter ces signes, réussiront ou échoueront, et ils garderont tout leur mystère. Sauf qu’ici, le lecteur a droit à moult essais et que d’une relecture jaillira la compréhension.

Alimenté par les sentiments de l’instant, il travaille en solitaire dans l’humilité de l’immédiateté, pour la prospérité d’une hypothétique postérité.

Le Porte-plume œuvre dans la ligne et dans l’interligne, la courbe et la ronde, dans l’esthétique enfin, que son propriétaire ait une jolie ou banale écriture. Que des doigts détendus le saisissent sans se crisper et il se sent en sécurité. Quand le Porte-plume a soif, son usager le trempe dans l’encre dont il se désaltère. Et le voilà prêt à glisser de nouveau sur le papier et servir encore de médium à l’écrivain, prolongeant sa main et sa pensée notamment.

Mais attention, que son maître trempe sa plume dans du fiel et non plus dans du miel, et il peut devenir agressif, gratter, égratigner, griffer, blesser et même porter la mort de sa plume acérée. Alors ses traces se muent en autant de morsures et meurtrissures à faire jaillir le sang, un sang d’encre. Le Porte-plume porte les coups de son maître contre l’adversaire désigné.

Voilà quelques années cependant que le Porte-plume reste sagement rangé au plumier, dans son tiroir, entre deux épisodiques utilisations épistolaires. Il est vrai que son possesseur s’est équipé d’un ordinateur et que l’écriture au clavier prédomine, doré navrant. En choisissant une belle police (oui, ça existe !), enfin, disons plutôt une belle fonte, le dactylographe – jolie combinaison de dactyle qui évoque à la fois le doigt et le pied (de vers) d’une part, et le dessin d’autre part –, le dactylographe peut forger une écriture adaptée aux circonstances. Inclinée pour mettre en évidence une idée ou pour faciliter la glisse de l’œil sur le texte, graissée pour faire son importante, droite pour faire sérieuse, le choix est grand bien que la régularité du tapuscrit risque fort de faire passer aux oubliettes l’émotion visuelle proposée par le manuscrit.

Il reste encore et heureusement le carnet à idées et les cartes postales sauf que dans le premier cas, le Porte-mine offre plus d’aspects pratiques. On peut gommer, dessiner, ombrer. Comme quoi le Porte-mine, espèce de “porte-plomb”, peut tracer dans la légèreté mais ceci est une autre histoire.

Le Porte-plume est bien le seul à être
dans le plein et dans le délié, tout ce que j’aime,
le plein et non le creux, le délié et non le rigide.

Le 3 mars 2010
Christian Hugues