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en ordre chronologique inverse de publication

Libre comme l’air

On dit “libre comme l’air” mais l’est-il vraiment ?

Qu’une dépression se creuse quelque part et l’air accourt, mû par une force qui le dépasse, une force supérieure qui suit sa propre loi, la loi de la nature. Comme un psy face à un déprimé, l’air arrive, le sauveur, tourne autour du point de plus grande dépression. L’air en afflux essaie de répondre à un besoin, à un manque, un manque d’air. Tant de gens qui ne manquent pas d’air, eux, feraient largement l’affaire pour ce boulot mais comme ils ne manquent pas d’air, ils feignent d’ignorer le problème. Non, c’est à l’air de compenser les manques d’air. Un grand bol d’air et voilà le travail, le manque est comblé.

À l’automne, l’arbre délaisse ses feuilles, oublie de les nourrir, et elles en attrapent la jaunisse. Pour elles, pas d’autre issue que la mort, alors tant qu’il leur reste une once de force, au besoin elles se groupent, elles lancent un S.O.S. pour une euthanasie active, un appel d’air. Leur arbre les a abandonnées alors elles s’abandonnent à l’air.

Sensible à cette supplique, l’air débonnaire vient au secours des désespérées et soufflant du mieux qu’il peut, il décroche les feuilles mourantes. Il leur offre un dernier voyage en gracieuses arabesques, en planés moelleux, leur voyage de retour à la terre. Et une fois à terre, il les aide encore, les pousse, les regroupe jusqu’à trouver un lieu agréable, un lieu vivable pour des feuilles en fin de vie. Il était libre de le faire ou non, les feuilles auraient attendu pour tomber, pour rejoindre leur tombe, aller au tombereau, qu’après l’arbre, leur pétiole les lâche à son tour.

On ouvre une fenêtre puis on en ouvre une autre sur la façade opposée, et on voit naître un courant d’air. On n’avait d’autre intention qu’aérer la pièce, lui offrir un changement d’air, on voulait seulement rafraîchir cette pièce. Et l’air, conditionné à se rendre utile, l’air a compris. Il se précipite en courant, l’air, sans affectation, se met en advection. Mais dans sa précipitation parfois, il y va un peu fort. Alors attention aux carreaux, gare à la casse. L’air se dégazera de toute respon­sabilité.

Qu’un incendiaire craque une allumette et allume des brindilles sèches en lisière de forêt, et l’air se lève soufflant le plus fort qu’il peut, fort prévenant, pour éteindre ce feu naissant. Sauf qu’il ne connaît pas la parole de ce cher François de La Rochefoucauld, « [...] le vent éteint les bougies et allume le feu. ». Ce n’est pourtant pas l’air qui jetterait de l’huile sur le feu. Comme quelquefois le bienfaiteur peut faire de mal avec les meilleures intentions du monde.

Avons-nous envie de fuir ? Nous pensions chercher des ailes mais non, appelons l’air, appelons-le. L’air nous sera encore magnanime. Il nous présentera sa fille – eh oui, l’air a une fille et nous l’ignorions ou, tête en l’air, l’avions oublié – et surtout il nous permettra de la jouer, de jouer la fille de l’air. Une bonne fille pour sûr, pas une fille aux grands airs auxquels elle aurait droit de postuler vu la notoriété de son père. Nous n’avions que besoin d’elle pour trouver notre liberté et l’air nous l’a offerte en nous prêtant sa fille.

Où était sa liberté de rester tranquille avec sa fille, immobile, tapis entre deux fenêtres, entre deux arbres, entre deux montagnes ? Il pouvait laisser tomber les feuilles mourantes, les laisser tomber sans aide, garder l’air absent. La dépression aurait vécu sa vie de déprimée. Mais voilà, dans le fond, l’air aime rendre service, gratuitement, gracieusement, sans attendre de récompense, ni le moindre retour. Il aime à se rendre utile voire indispensable. Il a tellement œuvré dans ce sens que, l’air de rien, il l’est devenu... irremplaçable.

Ô combien être et vivre
dans le besoin constant
de faire du bien à l’Autre
peut retirer de degrés
à cet air de liberté !

Le 26 juillet 2009
Remanié le 8 janvier 2025
Christian Hugues