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en ordre chronologique inverse de publication

Si j’étais un élément...

Je serais l’eau. Cette eau qui a donné naissance à la vie, qui continue à vous désaltérer, à vous laver. Je transporte les péniches sur les rivières et les fleuves, et les bateaux sur les mers et les océans. J’alimente un milieu de vie fait de faune et flore aquatiques. Je vous offre un miroir naturel et donne aux paysages une note calme et apaisante. Mais je me fais impétueuse en descendant de la montagne. Je déferle furieusement et mes débordements détruisent tout sur leurs passages, massacrant les humains et les animaux. De mes vagues gigantesques je retourne un bateau comme une coquille de noix. Rien ne m’arrête quand je suis en colère.
Mais alors je ne veux pas être l’eau.

Je serais le feu. Ce feu vous donne sa lumière et sa chaleur, sources de vie. Je vous aide à supporter les grands froids. Les machines thermiques fonctionnent grâce à moi. Je cuis vos aliments, leur donne du goût et permets leur conservation. J’offre ce spectacle fascinant des flammes qui s’élèvent, toujours en mouvement, comme la vie. À la Saint Jean, je suis le roi de la fête et autour de moi vous dansez en chantant et en riant. Mais si vous approchez trop près, je brûle et déchaîné, je détruis les maisons, les récoltes, les forêts. Je vous fais mourir dans d’atroces souffrances. Quand je gronde, rien ne m’arrête sinon l’eau peut-être.
Mais alors je ne veux pas être le feu.

Je serais le vent. Moi le vent, je suis vecteur de vie quand je transporte les graines et le pollen. J’apporte l’oxygène de la vie, les nuages et leur eau. Depuis longtemps, je fais tourner les ailes des moulins et maintenant celles des éoliennes. Avec l’aide de mon ami Soleil, je sèche le linge et l’embaume du parfum des fleurs des champs alentour. Et quand il chauffe trop, je rafraîchis votre peau. Quelques fois coquin, je soulève les robes des filles pour que les garçons aperçoivent leurs dessous. Mais que j’entre en fureur et je tords les arbres et les abats. J’emporte les toitures et m’engouffrant dans les fenêtres cassées, je détruis tout, tuant hommes et bêtes.
Mais alors je ne veux pas être le vent.

Je serais la terre. Cette terre nourricière prodigue les éléments qui donnent vie et nourrissent les plantes et les arbres. Je fournis la base des matériaux dont les hommes construisent leurs maisons. Je sers d’abri aux plus petits et aux plus démunis. Je recèle des trésors d’énergie que vous dilapidez allègrement tandis que je suis incapable de les reproduire à la vitesses où vous les consommez. Je vous offre mes courbes pour vos randonnées et des décors bucoliques pour que vos amours s’épanouissent. Mais quand j’entre en transes, quand je vibre et tremble et quand je laisse échapper le trop plein de mon feu intérieur, je détruis et tue indistinctement tout, même ce que j’ai nourri, végétal, animal et humain.
Mais alors je ne veux pas être la terre.

Mais alors je ne serai jamais tout beau, tout bon, tout gentil, que bienfaisant et plein d’amour ? J’aurai pareillement des crises de désespoir, de méchanceté et de désamour, des envies de faire du mal. Et vous que je rencontre, que je côtoie, que j’aime immédiatement ou que je finis par aimer un jour, vous aussi seriez ainsi.
Il me reste à l’admettre de moi pour l’accepter de vous.

Le 12 avril 2006
Christian Hugues