Hiatus
Hiatus, ce mot qui contient et qui montre par l’exemple ce qu’il exprime. Le Français et le français n’aiment pas l’hiatus. Je préfère l’hiatus car disant le hiatus, j’ai l’impression d’en commettre deux et donc j’élide l’E de l’article LE. Quoique, si à son libre choix, le lecteur inspiré prononce l’H aspiré et tout à fait admis en ce cas, le hiatus n’en comporte plus qu’un, de hiatus.
Pourquoi empêcherions-nous deux phonèmes vocaliques de se frotter ? Trouverait-on inconvenant que des exhalaisons aussi intérieures que les voyelles se rencontrent, se frôlent, se touchent et même semblent s’unir l’espace d’un instant ?
Ces productions à base d’air et singulièrement de vibrations émanent du corps, de ce corps sensible, celui qui ressent et exprime, souffre et jouit, qui grelotte et brûle, vibre et s’écroule. Comment ces oscillations pourraient-elles rester sans contact entre elles alors que ces rapprochements de différences, d’harmoniques éloignées, génèrent naturellement des interférences ?
Les règles consistant à garder les voyelles distantes, les séparer à tout prix et surtout les délier seraient-elles issues de vieilles morales pudibondes et austères évitant tout rapprochement scabreux, visible et audible de ces deux filles mélodieuses et suaves.
Pourtant ces émanations légères de l’âme, ces souffles puissants nés au plus profond du corps, ces messagères de l’émotion, les voyelles aimeraient s’unir en longues vocalises, en chants de louanges à la fusion. S’accolant jusqu’à se chevaucher, se liant langoureusement, les voyelles seules peuvent faire entendre une harmonie que les consonnes sont bien incapables de produire.
La peur du hiatus a fait naître une pratique douloureuse en de nombreux cas, l’élision. Que deux voyelles tentent de se rapprocher, de s’attacher et c’est le recours à l’élision sur la première. La devient l’, de devient d’, ne devient n’ et combien de voyelles disparaissent ainsi ? La voyelle coupable sera élidée dans la syllabe. Sur une syllabe, la pratique de l’élision est lésion et ces lésions sont légion.
Pire encore, l’article coupable de générer l’horrible, l’insupportable hiatus, l’article même est transformé de féminin en masculin. Ainsi, ma devient mon devant amie. Plus fort encore, un ami beau devient un bel ami.
Surtout séparer ces deux faibles voyelles et allant jusqu’à pratiquer l’épenthèse, insérer entre elles une dure consonne, une mâle consonne et sa présence tonitruante, explosive, arrogante, sifflante, brève mais forte, pétaradante et craquante. Et l’orthographe même s’en trouve déformée pour plaire à quelque oreille sensible. Alors nous disons : chantes-en une ! N’y a-t-il pas un s ou un t en trop ?
La liaison chère au français, la liaison intervient quand plus aucune autre mesure ne peut éviter l’hiatus. Ainsi entend-on “ententon” et non pas “enten hon” ! Encore une consonne s’immisçant entre deux voyelles. Bon, cette fois, la ci-devant était déjà là, au milieu.
Comme on entend par ci, comme on entend par là que la liaison perd beaucoup de sa présence, je me demande si cette dérive dénote l’acceptation de l’hiatus, ce qui me semblerait un progrès considérable dont on pourrait espérer la transposition et l’application aux relations humaines. Malheureusement, je crains fort que l’oubli de ladite liaison ne soit que le signe maladif et audible de la méconnaissance d’une orthographe déjà bien maltraitée à l’écrit.
Dans leurs langues étranges, les étrangers pratiquent-ils la liaison ou l’hiatus ? C’est selon. Les Allemands ne lient pas du tout et ne cherchent pas plus à éviter l’hiatus. Les Anglais lient quand ça vient et pour autant n’en inventent pas afin de contourner l’hiatus. J’avoue ne pas connaître plus de comportements étrangers. Et vous ?
Maintenant que vous en savez autant que moi – et peut-être plus que moi – sur l’hiatus, j’adresse une requête à vous qui avez fait le choix d’omettre les liaisons. Allez au bout de votre démarche et supprimez les élisions et autres transformations qui évitent l’hiatus. Mais aviez-vous fait ce choix consciemment, évitiez-vous les liaisons en connaissance de cause, le voici dorénavant conscientisé.
Pour ma part, j’aime assez la liaison, pas celle mal-t-à propos ni celle insistante au point de commencer d’apparaître avant que nécessaire, telle qu’elle fut pratiquée par certains-zzz personnages politiques, mais celle qui agrémente, enjolive, fleurit un texte, lui donne du liant et finalement un caractère bien français. Quand elle joue à faire entendre autre chose, la liaison m’aide à faire naître un vire-langue. Par ailleurs, je ne fuis pas l’hiatus, même pratiqué au détour d’un vers libre ou à la césure d’un vers contraint.
Signé :
Un poète suave et diabolique qui jouit en piaillant dans ce cloaque géant, capharnaüm et chaos de joyeux hiatus.
Le 2 octobre 2008